Le 4 mai 2018, en plein dans mon stage de master d’écologie, je pars de bonne heure du local LPO Aveyron, direction la ferme du Rausas pour faire du suivi avifaune. Ce jour-là, plongée  dans mes fiches de relevé, je n’imaginais pas que j’étais en train de parcourir les terres de la ferme où maintenant j’ai un projet d’installation. J’en ai parcouru beaucoup, des fermes aveyronnaises pendant ces quelques mois, et certaines, dont la ferme du Rausas, m’ont marqué plus que d’autres. J’en rêvais un peu lorsque je voyais leurs noms passer sur mes documents scolaires.

Les 6 années universitaires m’ont au moins convaincu d’une chose : je ne suis pas faite pour une vie derrière un bureau.

Dès la fin du master j’ai enchaîné des expériences en tant que salariée agricole en maraîchage, en bovin viande, en ovin lait, un petit peu en apiculture… Un de mes employeurs m’a proposé un projet d’installation dans le cadre de l’agrandissement de sa ferme, et, même si je n’ai pas choisi de poursuivre ce projet, ce fut l’élément déclencheur de ma réflexion. Avec Anthony nous avons commencé à parler ensemble des problématiques de la ferme du Rausas et de son potentiel d’évolution, et c’est de ces échanges que le projet commun a émergé, petit à petit. Deux ans après m’être jurée de ne plus jamais faire d’études, je suis repartie sur les bancs de l’école pour acquérir des compétences techniques et lancer le parcours à l’installation.

Dans ma promo de BPREA (Brevet Professionnel Responsable d’Exploitation Agricole), on est une trentaine de futurs éleveurs, avec une forte représentation féminine. On nous prévient que le parcours à l’installation sera long, rude, lourd administrativement et psychologiquement. Et ce n’est que le début.

Être éleveur en ces temps où le monde marche sur la tête, c’est aussi s’ancrer dans la nature et le savoir-faire ancestral. C’est côtoyer au quotidien la vie et la mort, être partie intégrante et intégrée de son troupeau, de son agro-écosystème. C’est être dépendant de ce que la nature veut bien nous donner. Mais c’est aussi un métier tourné résolument vers l’avenir où on cherche en permanence des solutions pour mieux travailler. Être fière de son produit et de sa façon de travailler est une récompense en soi. Humainement c’est dans le monde agricole que j’ai trouvé des relations humaines riches et saines, des réseaux d’entraide, d’échanges et de soutien importants. Puis il y a le côté obscur : il faut porter le poids des investissements très lourds et des heures de travail nombreuses et contraignantes. Savoir qu’il suffit d’un coup dur – accident, troupeau malade, aléa climatique, filière qui s’effondre – pour mettre en péril des années de travail. Subir les attaques quotidiennes des détracteurs de l’élevage plus ou moins déconnectés de la réalité du métier.

La société que nous envisageons de créer avec Anthony sera à l’image quelque part du renouveau agricole actuel : à la place de la ferme familiale traditionnelle, une structure entre tiers et hors cadres. Travailler à plusieurs dans ces conditions implique beaucoup de communication et de respect mutuel, mais aussi la compatibilité des tempéraments. Avec Anthony nous partons d’une base solide d’amitié, de complicité et de valeurs partagées, le défi sera de préserver cette relation et d’en faire une force de travail.

Anthony recherche en permanence de la cohérence dans sa démarche : le non-labour et une couverture végétale permanente pour soigner des terres fragilisées ; l’implantation de prairies multi-espèces, intéressantes et pour les chèvres et pour la biodiversité ; la régénération des haies et la plantation pour préserver une structure bocagère dynamique. J’espère qu’ensemble nous pourrons pousser plus loin ces pratiques et tendre vers un système de plus en plus vertueux et de plus en plus autonome. Ayant tous les deux un œil sensible aux espèces qui nous entourent, nous pourrons mesurer, à l’échelle de la ferme, les pratiques les plus intéressantes pour la biodiversité. Nous comptons mettre en place dès cette année un protocole simple de suivi de l’avifaune et des papillons, qui donnera un regard objectif sur la ferme au fil des années.

Défendre cette nouvelle agriculture est pour moi un combat qui se doit d’être mené, malgré la désillusion qui plane sur beaucoup de nos campagnes : sans agriculteurs, pas d’avenir, ne l’oublions pas !